ARTISTE CÉLÈBRENajoua El Hitmi

Dans l’oeuvre de Najoua El Hitmi, la peinture devient le lieu d’un affrontement subtil entre spontanéité et maîtrise, où chaque trace déposée sur la toile est moins une illustration qu’un acte de présence.
Le geste, tantôt impulsif, tantôt réfléchi, ne vise pas la représentation mais s’érige en sujet. Il compose des surfaces où le trait, affranchi de sa fonction descriptive, acquiert une autonomie presque organique
Née à Tanger en 1978, Najoua a d’abord parcouru le monde avant de faire de la création artistique sa terre d’ancrage. Son exposition Amazonia, présentée à l’Eden Art Gallery, témoigne d’un basculement. À la faveur d’un séjour en Amazonie, l’artiste crée des oeuvres comme une écriture dans un carnet de voyage : elle capte, absorbe, transforme. La toile devient un champ magnétique, traversé par des forces contraires, telluriques et intuitives.
Chez Najoua, la peinture n’est jamais un simple médium. Elle est matière à penser, matière à éprouver. Loin de tout didactisme, son travail évoque les expérimentations de l’art informel et du tachisme, tout en s’inscrivant dans une continuité sensible avec une tradition du geste, à la frontière de l’écriture.
Une tension féconde s’y joue, entre les archétypes et l’expérience contemporaine, entre la mémoire des formes et leur dissolution. Refusant les dualismes classiques –figuration/abstraction, intérieur/extérieur, maîtrise/abandon – Najoua opère dans un entre-deux fertile : celui de la porosité.
Chaque oeuvre naît d’un processus patient et engagé. Des couches successives se superposent, oscillant entre opacité dense et éclats translucides. L’oeil du spectateur n’est jamais au repos : les formes apparaissent, disparaissent, se recomposent. Rien n’est figé, tout respire. Cette instabilité formelle est un choix – presque une éthique – qui fait de chaque composition un palimpseste vivant. Il ne s’agit pas de montrer, mais de faire advenir.




Dans ces réalisations récentes, les teintes s’ancrent dans une palette tellurique : terres profondes, verts denses, blancs laiteux et noirs liquides. Des couleurs qui semblent avoir traversé la forêt, les fleuves et les cendres. Comme si la toile avait absorbé les éléments. À la manière des avant-gardes du XXe siècle qui cherchaient à libérer le trait de sa servitude figurative, Najoua interroge la possibilité même de l’image stable
Mais il serait erroné de chercher chez elle une affiliation théorique ou une école. Najoua ne revendique aucune appartenance : elle agit. Sa peinture est une entreprise d’émancipation, un geste d’auto-définition. Là où tant d’oeuvres cherchent à séduire ou à s’expliquer, les siennes résistent.
Elles demandent à être habitées, scrutées, questionnées. Elles exigent une présence. Mahmoud Darwich écrivait : « Je trace la terre avec les mots de mes pas. » De même,
Najoua peint non pour montrer, mais pour marcher, pour inscrire un passage. Et dans ce cheminement, dans cette écriture silencieuse du geste, se joue peut-être l’essence même de son travail: une invitation à penser l’image peinte non pas comme un miroir du monde, mais comme une traversée sensible du réel. Ou, du moins, de ce que l’on pense du réel.
